Les femmes
Sur l’ensemble des noms célébrés dans L’Action française au champ d’honneur, nous n’avons recensé que vingt-cinq femmes dont six d’ascendance noble[1]. Elles sont honorées individuellement à la marge et principalement en tant qu’infirmière de la Croix-Rouge française. Autrement, les femmes sont évoquées à travers la mémoire de leurs maris ou enfants. Les condoléances leur sont dûment adressées directement à travers le journal.
Pourtant, la Grande Guerre ne saurait être résumée en une période d’attentisme, spécialement chez les femmes de la noblesse française, comme le souligne l’historien Bertrand Goujon[2]. Les militantes font parvenir des exemplaires de L’Action française aux soldats, d’autres participent aux réunions publiques à l’arrière ou rendent visite aux ligueurs d’Action française et aux Camelots du Roi blessés au front[3]. Les épouses et mères correspondent avec L’Action française pour transmettre des nouvelles relatives à leurs proches et sont créditées de temps à autre. Nous avons l’exemple de la lettre de Jeanne Le Maire adressée à la rédaction de L’Action française et reproduite partiellement dans la une du 1er août 1915[4]. Elle avise de la mort au front de son premier fils, Jean, la blessure de son deuxième fils, Henri, et l’enrôlement du troisième, Robert. Son zèle militant va jusqu’à proposer ses services comme correspondante des blessés d’Action française en tant qu’infirmière de la Société de secours aux blessés. Pareillement, la marquise Eléonore du Cauzé de Nazelles adresse à Charles Maurras des pièces relatives à son fils Charles[5], tué en mars 1915, près de Verdun, afin qu’il juge « ce qui [lui] semblera susceptible d’être livré à la publicité » dans les colonnes du journal[6].
L’effort de guerre chez les femmes se manifeste aussi économiquement à l’instar de la comtesse Maurice de Courville[7] et la marquise de Mac-Mahon[8] qui redoublent d’efforts pour collecter des fonds « lors de ventes organisées dans les salons d’aristocratiques sympathisantes telles que la marquise de Chasteigner, la comtesse de Berthier-Bizy ou Mme de Largentaye »[9]. D’autres châtelaines vont jusqu’à transformer leur demeure en infirmerie militaire comme Yvonne Louit, membre du comité des Dames royalistes de Bordeaux, et son château de Dulamon (commune de Blanquefort-de-Médoc) où une centaine de lits sont installés pour les blessés de guerre. De même, Gabrielle Le Pan de Ligny, sa mère et sa sœur fournissent une vingtaine de lits dans leur château de la Chambre à Carquefou (Loire-Atlantique). De façon moins ordinaire, la comtesse Angélique Bouchelet de Vendegies est citée à l’ordre de l’armée le 27 avril 1919 pour avoir protégé un espion français pendant deux ans et demi à Morval (Pas-de-Calais). Marie Louvet, ligueuse d’Action française, est aussi citée à l’ordre du jour de l’armée, pour son dévouement du 5 septembre au 25 octobre 1914 en servant de guide, au travers des Ardennes belges, à un détachement de soldats français qui essayaient de rejoindre leurs lignes. Son acte lui vaut la croix de guerre avec palme[10].
En somme, même si les femmes sont anecdotiquement citées, elles n’hésitent pas à faire preuve de « persévérance, ingéniosité et aptitude à l’entregent »[11]. Leur engagement se discerne au travers des rubriques de L’Action française même s’il est relégué à l’arrière-plan.
[1] Angélique Bouchelet de Vendegies (1861-1923), Marie Thérèse Charlotte de Clapiers de Collongues (1857-1927), Antoinette de Maistre, Geneviève de Maistre (1885-1951), Jeanne de Maistre (1888-1920) et Odette de Martimprey (1891-1918).
[2] Bertrand Goujon, Je maintiendrai. Femmes, nobles et Françaises. 1914-1919, Paris, Vendémiaire, coll. « Chroniques », 2022, p. 699.
[3] Id., Ibid., p. 392.
[4] Jeanne Le Maire née Lamort (1868-1942) est l’épouse de Raymond Le Maire (1870-1923), secrétaire de la légation de Belgique à Londres. L’Action française, 1er août 1915.
[5] Charles du Cauzé de Nazelle (1890-1915) est un Saint-Cyrien, lieutenant au 166ème RI, tué à l’attaque de Marcheville le 18 mars 1915. Il est chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume. Sa mère est Eléonore du Cauzé de Nazelles née Werlé (1869-1933), présidente du groupe des Dames royalistes de l’Aisne. L’Action française, 9 avril 1915, 29 avril 1915, 26 décembre 1915.
[6] B. Goujon, Je maintiendrai. Femmes, nobles et Françaises. 1914-1919, op. cit., p. 130.
[7] La comtesse Louise de Courville née Rondel (1860-1937), est une femme d’origine bourgeoise, fille d’un ingénieur des Ponts et Chaussées. Elle publie plusieurs romans de littérature enfantine entre 1896 et 1899. Elle épouse le 4 janvier 1886, à Brest, le comte et ingénieur militaire Maurice de Courville qui a enseigné à l’Ecole Supérieure de Guerre avant de devenir codirecteur des établissements Schneider. Louise de Courville est une « femme de mondanité et de réseaux ». Lire à son sujet Bruno Dumons, chap. « L’Action française au féminin : Réseaux et figures de militantes au début du XXe siècle », dans Michel Leymarie (dir.) et Jacques Prévotat (dir.), L’Action française : culture, société, politique, vol. 1, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Histoire et civilisations », 2008, p. 229–241.
[8] La marquise Marthe de Mac-Mahon née de Vogüé (1860-1923) est la première présidente de l’Association des dames et jeunes filles royalistes destinée aux ligueuses d’AF. Restée veuve après le décès de son époux en 1894, elle prend fait et cause pour l’Action française dont elle est l’unique femme membre du comité directeur dès 1908.
[9] B. Goujon, op. cit., p. 393.
[10] L’Action française, 2 novembre 1916.
[11] B. Goujon, Ibid., p. 695.