20 janvier 1888 à Melun (Seine-et-Marne) – mort le 19 décembre 1968 à Bordeaux (Gironde).
Héritier d’une prestigieuse famille royaliste, Bertrand de Lur-Saluces est le fils aîné du comte Eugène Henri Marie de Lur-Saluces, capitaine au 1er RC, et d’Anne Isabelle de Mac-Mahon, sans profession[1]. Il compte six sœurs et un plus jeune frère Amédée, né un an plus tard. À l’âge de six ans, son oncle, le député Louis Eugène Amédée de Lur-Saluces, le désigne comme héritier pour la gestion des domaines familiaux, jusqu’au moment où il sera en mesure de disposer de cet héritage. Son père, militaire de carrière, est membre des conspirateurs royalistes entourant Paul Déroulède lors du putsch intenté contre la République le 23 février 1899. Après cet échec, le père Lur-Saluces est banni cinq ans du territoire français par la Haute Cour[2]. La famille Lur-Saluces est contrainte de s’installer en Belgique où le jeune Bertrand fait ses études au collège d’Anthoin. Brillant élève, il obtient son baccalauréat en philosophie en 1904, puis en mathématiques en 1905. De retour en France, son père est nommé délégué du duc d’Orléans pour la région du Sud-Ouest, et président d’honneur de la ligue d’AF. Le 29 septembre 1909, Bertrand de Lur-Saluces s’engage volontairement au 10ème RC pour trois ans, à Moulins[3]. Il passe le grade de brigadier le 19 février 1910, puis celui de maréchal des logis le 27 février 1911. Au terme de son service militaire, il est envoyé dans la disponibilité le 25 septembre 1912. En tant qu’ardent défenseur de la langue d’Oc, il collabore à différents périodiques dont la Revue des Argonautes, puis au Cahier de Provence. Au début de la Grande Guerre, il est rappelé sous les drapeaux au 10ème RH. Au cours d’une reconnaissance en Belgique, Bertrand de Lur-Saluces a la jambe écrasée par son cheval abattu par l’ennemi. Envoyé au Val-de-Grâce, il se remet de ses blessures et retourne au front[4]. Le 26 septembre 1914, il est promu sous-lieutenant de réserve, puis lieutenant de réserve deux ans pile après. Sur sa demande, il bascule de la cavalerie vers l’artillerie, en rejoignant le 42ème RA, à sa sortie de l’école militaire de Fontainebleau le 28 janvier 1917[5]. Le 19 septembre, il reçoit sa première citation à l’ordre de la 126ème division : « Pendant l’attaque du 20 août 1917, chargé de suivre la progression de l’infanterie pour rechercher un observatoire avancé, n’a pas hésité à traverser un barrage nourri. A fait sa reconnaissance et a franchi encore une zone très battue pour rapporter des renseignements de la plus grande précision et de la plus grande utilité »[6]. Il prend part aux combats du Chemin des Dames où il est blessé et même gazé. Les séquelles de l’intoxication à l’ypérite lui causent une bronchite chronique qu’il conserve toute sa vie. Sa deuxième citation à l’ordre de la 4ème DI, reçue le 28 juillet 1918, témoigne de sa valeur au combat : « A exécuté à cheval et avec la plus grande audace sous le feu de l’infanterie allemande, une reconnaissance de passage de la Marne sur un parcours de quatre kilomètres »[7]. Le 20 août, il est détaché auprès de l’armée américaine puis conclue la Première Guerre mondiale avec la croix de guerre. De retour du front, Bertrand de Lur-Saluces administre le grand cru du château d’Yquem et participe à la renaissance du domaine viticole du château de Fargues (Gironde)[8]. Propriétaire d’une grande partie du territoire de la commune d’Uza (Landes), il y relance économiquement les forges possédées par la famille depuis le XVIIIème siècle[9]. Il hérite même du château Filhot mais doit le revendre en 1935 à sa sœur, la comtesse Durieu de Lacarelle. Par ailleurs, le comte obtient une licence ès sciences en 1920 et collabore aux Nouvelles du Sud-Ouest. Il créé la Revue méridionale en 1921, la Revue fédéraliste en 1925 et Latinité en 1929. Le 11 juillet 1922, il prononce une conférence sur la doctrine sociale de l’AF à la permanence de la section du 7ème arrondissement de Paris, 116, rue du Bac[10]. En décembre 1922, il accepte la présidence de la Fédération des sections d’AF de Bordeaux et de la Gironde jusqu’à la Seconde Guerre mondiale[11]. Le 15 décembre 1925, il est radié de la ligue d’AF pour son soutien à Georges Valois lorsque celui-ci s’accapare la Nouvelle Librairie nationale[12]. Le comte participe même à la création du premier parti fasciste français, le Faisceau de Georges Valois[13]. En mars 1926, le comte assiste à une réunion du Faisceau au cours de laquelle le rôle historique de la monarchie et le duc d’Orléans sont décriés. Indigné, le comte proteste énergiquement dans La Liberté du Sud-Ouest et rompt avec le groupe fasciste[14]. En 1928, à la mort de son oncle, il hérite du titre de marquis de Lur-Saluces et prend définitivement en main le patrimoine familial. Le 7 janvier 1930, il est admis à siéger au sein de l’Académie nationales des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux. Durant l’été, il voyage en Union soviétique et livre son compte-rendu dans un feuilleton Na rzavalinach (en français « Dans les ruines ») publié dans Vozrojdénié, journal d’émigrés russes parisiens[15]. Le texte est ensuite édité sous le titre Impressions d’un voyage dans la Russie des Soviets en 1930. L’année suivante, il est licencié ès lettres, option langue russe. Ses études de russe le conduisent à étudier Mikhaïl Lomonossov dont il publie une étude Lomonossof, le prodigieux moujik (1933). Il est également un traducteur de l’œuvre Alexandre Pouchkine. En plus du russe, le marquis parle couramment l’allemand, l’anglais et l’italien[16]. Le 24 décembre 1938, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur en qualité de capitaine au centre de mobilisation d’artillerie n°2. Au début de la Seconde Guerre mondiale, il est rappelé sous les drapeaux mais il est fait prisonnier avec tout son régiment lors de la bataille de France en 1940. Pendant deux ans, il est interné dans les oflags. À la Libération, la croix de guerre 1939-1945 lui est décernée. Le 23 août 1948, il est nommé chevalier du Mérite agricole[17]. Le 9 août 1950, il est élevé au rang d’officier de la Légion d’honneur en qualité de viticulteur, industriel et président du comité national de propagande en faveur du vin. L’instruction du dossier de sa récompense mentionne plusieurs autres attributions : président de la Fédération des syndicats des grands vins de Bordeaux, vice-président de l’Institut national des appellations d’origine des vins et eaux de vie, vice-président de la caisse du Crédit agricole de la Gironde et conseiller de la succursale bordelaise de la Banque de France. En 1951 et 1965, il présente deux communications sur ses voyages en Grèce, à l’Académie nationale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux[18]. Lors de la visite du président Nikita Khrouchtechev au siège du Comité interprofessionnel des vins, sa connaissance du russe et de la Russie lui permettent de recevoir le premier secrétaire du Parti communiste de l’Union soviétique au printemps 1960. Fervent catholique, sa fidélité religieuse lui vaut la croix de commandeur avec plaque de l’ordre d’Isabelle la Catholique en 1961. Célibataire et sans descendant, il choisit peu avant sa mort son neveu Alexandre de Lur-Saluces pour lui succéder à la tête des domaines Lur-Saluces. Le marquis de Lur-Saluces décède d’une crise cardiaque le 19 décembre 1968 à Bordeaux.
[1] Acte de naissance n°42 de Charles Marie Joseph Bertrand de Lur-Saluces du registre des naissances de l’année 1888 de Melun, Archives départementales de la Seine-et-Marne, 6E306/94.
[2] Louis Sémirot, « Éloge du marquis Bertrand de Lur-Saluces », Actes de l’Académie nationale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux, 26 janvier 1970, p. 96-107.
[3] Registre matricule de la classe 1908 du n°251 au n°746 de Bordeaux et de Libourne, Archives départementales de la Gironde, 1 R 1408 295.
[4] L’Action française, 8 septembre 1914.
[5] L’Action française, 8 novembre 1917.
[6] Registre matricule de la classe 1908 du n°1001 au n°1501 de Bordeaux et de Libourne, Archives départementales de la Gironde, 1 R 1393 1185.
[7] L’Action française, 8 septembre 1914.
[8] Jean Brèthe de La Gressaye, « Trente-cinq ans de souvenirs académiques », Actes de l’Académie nationale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux, 21 janvier 1982, p. 9.
[9] « Installation de M. le marquis de Lur-Saluces », Actes de l’Académie nationale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux, 1er janvier 1932, p. 105-114.
[10] L’Action française, 11 juillet 1922.
[11] L’Action française, 22 décembre 1922.
[12] L’Action française, 20 décembre 1925, p. 5.
[13] Zeev Sternhell, « Anatomie d’un mouvement fasciste en France : le faisceau de Georges Valois », Revue française de science politique, n°1, 1976, p. 11.
[14] L’Action française, 18 mars 1926, p. 3.
[15] La Croix, 12 octobre 1930.
[16] José-Alain Fralon, « Yquem, les raisins de la discorde », Le Monde, 2 mai 1999.
[17] Archives nationales, base de données Léonore, dossier Légion d’honneur (c-129092).
[18] Le 20 avril 1965, il présente une communication Sur un voyage à travers la Grèce classique : Athènes et le Parthénon.