Les clercs

Dans l’ensemble, les morts d’Action française sont de confession catholique en vertu du fait qu’il s’agit de « la première clientèle royaliste » comme le rappelle l’historien Pierre Nora[1]. Pourtant nous avons trouvé quelques exceptions dont trois personnes de confession protestante : Fernand d’Harmenon, secrétaire-adjoint des Étudiants d’Action française mort pour la France à dix-neuf ans, son frère André, délégué des Camelots du Roi du 18ème arrondissement de Paris, et l’infirmière Élisabeth Jalaguier, appartenant à une vieille famille protestante et royaliste de Nîmes. Le seul Israélite honoré n’est autre que le journaliste Pierre David, surnommé le « héros juif d’Action française » par Maurras[2]. Bien qu’absent du recensement de Jules Challamel, l’historien Eugen Weber a tout de même relevé le cas similaire de Marc Boasson, amateur d’art érudit, dont la correspondance atteste d’une adhésion aux idées maurrassiennes nonobstant sa judéité[3].

Hormis ces cas particuliers, ce sont principalement les vertus catholiques qui sont exaltées par l’Action française. La geste royaliste et catholique insufflée dans la presse et la littérature maurrassienne font même des émules dans les tranchées. Durant la première année de la guerre, Alfred Droin se convertit au nationalisme intégral par la lecture de Charles Maurras[4]. De façon similaire, Henri Ghéon se convertit au catholicisme par la lecture de la correspondance du royaliste Pierre Dupouey, tué au cours de la bataille de l’Yser[5]. Ce dernier livre un témoignage remarquable de ses convictions : « Il fallut bien me rendre à l’évidence. Cela n’étonnera que ceux qui n’auront pas connu le temps où l’on allait au Christ-roi par le roi, ou bien au roi par le Christ-roi, avec une parfaite aisance »[6]. La fidélité à Dieu comme au roi sont bien souvent inséparables chez les militants royalistes.

Cette prééminence du catholicisme dans les rangs de l’Action française se traduit aussi par la mention de nombreux hommes d’Église dans L’Action française au champ d’honneur. En tout, ce sont 194 clercs et séminaristes qui sont mentionnés durant toute la guerre dont 78 revendiqués parmi les morts pour la France de l’Action française y compris Léon Challamel, le propre fils de Jules Challamel, séminariste tué le 24 septembre 1914. Pendant la guerre, les prêtres servent au front en tant qu’aumôniers titulaires ou volontaires, infirmiers, brancardiers voire même comme soldats combattants en ce qui concerne les novices, scolastiques et séminaristes[7]. Certains d’entre eux avaient été sommés de quitter le territoire national lors des expulsions des congrégations en 1903, mais n’hésitent pas à s’engager spontanément en 1914 lorsque la Troisième République appelle à la défense nationale. La mise en lumière de leurs « états de service à faire pâlir un général »[8] participe de fait à la réhabilitation du clergé contre la répression anticléricale d’avant-guerre. L’Action française revendique avec fierté ces religieux dont certains sont sympathisants voire même adhérents de la ligue. Les notices du journal illustrent la perméabilité d’une frange du clergé, de base conservateur, aux idées maurrassiennes[9] . Ainsi, Jules Challamel fait l’éloge funèbre de l’abbé Lavollée, du diocèse d’Orléans, ordonné prêtre le 29 juin 1907 et professeur à l’école Sainte-Croix. D’abord séduit par le Sillon de Marc Sangnier, il se serait ensuite converti aux thèses du nationalisme intégral avec la lecture de l’Enquête sur la monarchie (1900) et L’Avenir de l’intelligence (1905). Pendant le conflit, il sert comme infirmier et devient brancardier au 89ème RI. Il est mortellement blessé d’un éclat d’obus à la tête le 14 juillet 1915 en Argonne, au poste de secours de son bataillon[10]. Il succombe à ses blessures une quinzaine de jours plus tard à l’hôpital d’Arc-en-Barrois (Haute-Marne)[11]. De même, l’aumônier Léon Blanc, professeur de dogme au grand séminaire de Cahors et « admirable ami » de l’Action française, meurt le Vendredi saint 1919 d’une maladie contractée en service commandé. Engagé volontaire en tant qu’infirmier au 7ème RI , sa « bravoure légendaire » est inscrite dans la citation de sa médaille militaire reçue à titre posthume[12]. Dans la même veine, le prêtre-soldat Pascal Patella, « de Marseille, grand ami de l’Action française, dont il suivait et favorisait le mouvement », est tué à la tête de sa compagnie le 15 juin 1915. Le capucin Michel Laffitte-Lebrat, bien que dégagé de toute obligation militaire, s’engage volontairement comme aumônier au 3ème RZ. Particulièrement brave, il accompagne toujours les vagues d’assaut, tenant en main son crucifix. Lecteur revendiqué de L’Action française, il est tué le 25 septembre 1915 lors d’une contre-attaque allemande. D’autres membres du clergé sont tout simplement d’anciens militants qui maintiennent parfois leur adhésion après leur entrée dans les ordres à l’image d’Henry du Rosel de Saint-Germain, ordonné prêtre le 29 juin 1912 et ligueur du Calvados. Il périt le Samedi saint 1918 lors d’un combat en Picardie. Un autre cas notable est celui du séminariste André Hocquet désigné comme le fondateur de la section d’Amiens. Caporal au 67ème RI, il meurt en résistant face à une attaque ennemie, le 22 août 1914.

L’Action française met en valeur ses bonnes relations avec les membres du clergé, conformément à sa défense du catholicisme inscrite dans le serment du ligueur, tout en entretenant l’osmose avec son lectorat conservateur.


[1] Pierre Nora, « Les deux apogées de l’Action française », Annales. Économies, sociétés, civilisations, n°1, 1964, p. 127-141.

[2] L’Action française, 28 octobre 1918.

[3] Catherine Nicault, chap. « Les “Français israélites” et la ligue d’AF. Des années 1900 à 1940 », dans M. Leymarie (dir.) et J. Prévotat (dir.), op. cit., p. 185-202.

[4] Alfred Droin (1878-1967) est un romancier et poète, primé trois fois par l’Académie française.

[5] La notoriété de Pierre Dupouey (1877-1915) est intimement liée à celle de sa femme Mireille Arnault de la Ménardière (1890-1932) qu’il épouse le 3 mai 1911. Leur union puis l’expérience spirituelle du veuvage font l’objet de plusieurs études et l’admiration de l’Église catholique. Henri Ghéon et André Gide les font entrer dans la postérité par le biais de deux livres L’homme né de la guerre, témoignage d’un converti (1919) et Deux époux selon le Christ, Pierre et Mireille Dupouey (1945).

[6] Eugen Weber, L’Action française, Paris, Stock, 1964, p. 117.

[7] Pascal Frey, « La mort en face : figures d’aumôniers dans la grande guerre », Études sur la mort, 2014, n° 146, p. 43-52.

[8] P. Frey, op. cit., p. 43-52.

[9] Du moins avant la condamnation de l’Action française prononcée par le Pape Pie XI en 1926, puis levée par le pape Pie XII en 1939.

[10] L’Action française, 20 août 1915.

[11] Dieu et patrie : l’héroïsme du clergé français devant l’ennemi, 29 août 1915.

[12] Jean-Baptiste Sabrié, Une âme sacerdotale, l’abbé Léon Blanc (1884-1919), Cahors, Et. Delsaud, 1924.